Les aînés qui présentent des troubles cognitifs nous parlent très souvent : ils nous expriment bien des choses !
Le malheur étant que nous ne les comprenons pas...
Prenez cette dame, entrée en établissement depuis des mois, et qui - soudainement et chaque soir - nous dit, en montrant sa montre, qu'elle est en retard, que son mari l'attend et qu'il va s'inquiéter de ne pas la voir rentrer...
Nous savons que son époux est décédé, mais sommes nous les seuls à le savoir ?
Certains essayeront d'expliquer à cette dame que son mari est mort et ne peut donc l'attendre : elle n'en aura cure et s'agitera d'autant plus.
D'autres, dans la lignée de Naomi Feil, "entreront dans son jeu" et lui diront je ne sais quoi, genre : son mari l'attend effectivement mais qu'il n'est pas d'un naturel inquiet...
(ou d'autres fables de ce genre : juste que je ne suis pas assez créative ni assez manipulatrice pour les imaginer)
Tout cela parce que nous partons toujours du même principe : vu que nous ne comprenons pas ce que la personne nous exprime, alors ses propos ne peuvent qu'être aberrants et vides de sens !
En appui sur notre totale incompétence à entendre ce qu'elles cherchent à nous dire, nous sommes convaincus que ces personnes racontent n'importe quoi !
Et si, avec ses mots, cette dame nous exprimait simplement le manque de son époux, de sa présence physique, de son amour pour elle ?
De sa tristesse de l'avoir perdu ?
Ou encore de son manque de relation affective et physique (le contact peau à peau) et sexuelle ?
Qu'en savons-nous vu que nous considérons ses paroles comme du vent ?
Nous sommes-nous simplement posés près d'elle pour lui demander : "Votre mari vous manque ?"
Que dire d'une autre dame qui veut sortir pour aller rechercher ses enfants à leur sortie de l'école ?
Pensez-vous un seul instant qu'elle ne sait pas que ses enfants, qui viennent la visiter régulièrement, soient devenus des adultes ?
Pensez-vous un seul instant qu'elle ignore que ses enfants vivent des situations difficiles mais qu'ils les lui cachent pour ne pas l'inquiéter ?
Pensez-vous un seul instant que même malade, cette mère n'a pas une profonde envie d'être là pour soutenir ses enfants et les aider quand ils galèrent ?
Nous sommes-nous simplement posés près d'elle pour lui demander : "Vous sentez que vos enfants sont inquiets ? Est-ce que ça vous manque d'être là pour eux et de les soutenir ? Comment vivez-vous l'inversion des rôles (vos enfants qui deviennent vos parents) ?" *
A tous les soignants qui accompagnent ces aînés, je n'ai qu'un seul désir : leur envoyer cette image =)
Et leur dire ce que Winnie répète sans cesse : "Pense - Pense - Pense !"
"Déments" mais pas cons !
Pensez-vous que face à notre ignorance, eux ignorent que nous les baladons quand nous "entrons" dans ce que nous considérons être leurs "délires" ?
Nous sommes en principe des professionnels formés pour accompagner ces aînés !
Que nous nous sentions démunis face à leurs paroles, qui ne sont JAMAIS vides de sens, c'est compréhensible !
Et si nous acceptons que ces aînés, avec leurs mots, ont encore bien des choses à nous dire, peut-être serons-nous désireux d'appendre à les entendre et à parler comme eux !
* C'est un sujet ouvert à d'amples discussions !